Chapitre 4 : Une question de confiance…
Qui suis-je ? Cette question, il la ressassait inlassablement. A cette simple demande, il était incapable de répondre. Qui était-il ? Oui, qui était-il pour la mettre en danger ? Qui était-il pour qu’elle accepte de le suivre ? Et pourquoi se sentait-il autant attiré par elle ? Née de cette simple interrogation, une pluie de question se succédait maintenant sans fin. Il secoua légèrement la tête comme pour chasser toutes ces questions. Zoéliana, qui l’observait, perçut cet imperceptible mouvement et sut qu’elle avait fait mouche. Il paraissait pourtant si serein. Mais, elle savait que sous ce masque d’apparente sérénité, il se cachait. Depuis qu’elle l’avait rencontré, elle avait compris que ce serait ces petits gestes quasiment invisibles semblant anodins qui l’aideraient à le percer à jour, à le comprendre. Il ne la regardait plus. Les yeux fermés, il semblait réfléchir. Etait-elle suffisamment digne de confiance pour qu’il puisse lui dire son nom ? Voilà ce qu’il devait se dire. Qu’il le veuille ou non, elle avait bien l’intention de le savoir. Il l’avait embarqué dans ses histoires et… se disait-elle en sentant monter en elle une bouffée de colère quand elle se mit soudain à sourire au souvenir de leur première rencontre. Enfin, poursuivit-elle un sourire toujours dessiné sur ses lèvres, elle s’était mise dans le pétrin toute seule… Il ne put retenir un petit rire qui s'échappa de ses lèvres généreuses. Depuis qu’il avait commencé à méditer sans se soucier aucunement d’elle, elle faisait les cents pas. Au bout d’un certain temps, elle avait finalement décidé de s’appuyer à un arbre juste en face de lui. Les bras croisés sous sa poitrine, un pied appuyé contre l’arbre, son regard se portait encore et toujours vers cet homme environné de mystères. Son père lui répétait sans cesse qu’il fallait se méfier des elfes ténébreux, des mortels, des magiciens, des sorciers… enfin des hommes en général disait-elle souvent pour résumer. Elle leva la tête et regarda le ciel. Elle aussi avait besoin de réfléchir. Baignant toujours la forêt de sa douce lumière, la lune continuait sa course, inlassable. Le ciel maintenant dégagé laissait apparaître les premières étoiles. Elle décida de contempler ce ciel étoilé comme lorsqu’elle était enfant et qu’elle se trouvait confrontée à un problème qui la dépassait. Le ciel lui apportait toujours une réponse ne serait-ce que cette sensation de quiétude sans nul autre pareil. Laissant son mystérieux compagnon s’oublier dans les méandres de son esprit, Elle s’allongea au pied de l’arbre, les yeux perdus dans le ciel scintillant de milles feux qui semblaient jouer avec le feuillage.
Elle lui faisait perdre tous ses moyens. Comment arrivait-elle à faire cela ? Il n’avait peur de personne, il savait garder la tête froide et là, face à elle, il n’arrivait même plus à maîtriser ne serait-ce qu’une infime parcelle de lui même. Il ne laissait certes pas transparaître ses émotions, chose qu’il avait apprise sur le chemin escarpé et semé d’embûches menant vers la liberté ! Savoir se préserver et cacher ses véritables intentions étaient devenus sa seconde nature, des atouts nécessaires pour survivre et se battre. Il avait toujours été seul. A part sa mère, aucune femme n’avait eu de place à ses côtés. Il en avait connu, mais n’avait jamais rencontré l’amour. Il se l’était toujours interdit. Il ne pouvait pas risquer la vie de quelqu’un d’autre. Il s’était voué corps et âme à la cause. La rébellion existait en partie grâce à lui et à d’autres qui avaient cru en lui. Il était devenu le chef d’un mouvement qu’il avait vu naître et qui avait pour nom : Libertas. Enfant, il n’aurait jamais pensé que son peuple aurait à revivre une telle situation. Libre, ayant la forêt pour maison, il avait très tôt appris à percer ses secrets, et découvrir ses trésors. Aujourd’hui, elle lui servait de refuge, mais elle était aussi devenue sa prison. Sa liberté était morte comme celle de son peuple, le jour où un tyran avait décidé de les asservir. Traités comme une race inférieure depuis des millénaires, ils en avaient perdu leur identité et avaient accepté leur condition. C’est pour cette raison que face à l’oppresseur, ils n’avaient opposé qu’une faible résistance. Mais pas Kunder. Dès le départ, il s’était révolté tout comme son père qui y avait laissé sa vie. Son père lui avait enseigné l’histoire de leur peuple méprisé, dénigré, rejeté dont pourtant le savoir et la sagesse étaient incommensurables. Il avait appris à aimer son peuple, à le respecter et à vivre selon leur ancienne coutume. Il avait su faire renaître ce lien avec la nature que son peuple avait tissé au fil des siècles, redécouvrir le secret des plantes dont ses ancêtres avaient jalousement conservé le savoir. Peuplade pacifiste, isolée et oubliée de tous, ils se sentaient en sécurité. Jugés juste bons à servir d’esclave, ils avaient donc encore une fois été pris pour cible. Kunder avait pris la tête de la rébellion, suivant les pas de son père. Il avait œuvré en cachette, tenu des réunions secrètes, resserré les liens de la résistance jusqu’à ce qu’on essaie de la démanteler. On l’avait dénoncé. Etant le cœur du mouvement, en l’éliminant, on voulait la tuer. Mais, il avait fait en sorte de faire renaître leurs coutumes, l’amour de leur peuple dans le cœur de ses hommes. Ils étaient eux aussi prêts à donner leur vie pour la liberté de leur peuple et même mort, il savait que le combat continuerait, qu'il y aurait toujours un autre qui prendrait le relais. Voilà qui il était : un être luttant pour la liberté de son peuple, s’oubliant même dans ce combat ; mais elle avait su réveiller en lui des sentiments qu’il avait enterrés, croyant pouvoir les mettre ainsi de côté. Elle avait su à travers cette simple question lui en posait une capitale et existentielle. Il ne savait pas si ses sentiments et si cette confiance qui s’instaurait entre eux allaient les mener quelque part. Mais, il avait appris une chose : on ne lutte pas contre ses sentiments tout comme on ne peut renier qui l’on est. Il ouvrit enfin les yeux et étira ses muscles endoloris. Il ne savait pas combien de temps il avait été absorbé par ses pensées. Ses yeux s’habituant peu à peu à la lumière diaphane de la lune, il l’aperçut enfin allongée sur le sol. Un sentiment de peur l’envahit tout à coup, il se leva hâtivement et se précipita vers elle. Elle semblait s’être endormie, un sourire flottant sur ses lèvres. Dans la précipitation, il avait posé sa main sur son cœur et une sur son cou. Le contact de ses doigts sur sa peau douce raviva des émotions qu’il essayait en vain de repousser depuis qu'il l'avait rencontrée. Quelle était belle ! ne put-il s’empêcher de penser. Il la contemplait lorsqu’il sentit une main se poser doucement sur la sienne. Il voulut la retirer mais elle l’en empêcha. Ses yeux, semblant refléter le scintillement des étoiles, brillaient d'un éclat intense. Il la regarda et lui dit d’une voix calme :
- Je suis Kunder. Je cherche à libérer mon peuple du tyran qui nous a réduit en esclavage et qui a décidé de m’éliminer.
Sa voix résonnait de sincérité et malgré l’obscurité et la faible luminosité, elle pouvait lire dans son regard toute sa détermination. Il lui avait fait confiance. A elle de lui dévoiler son identité et de sceller un pacte qui les lierait à jamais.
- Je m’appelle Zoéliana…
Elle s’appelait donc ainsi. Un nom exceptionnel pour une femme tout aussi exceptionnelle. Abandonnant à regret le contact de cette main puissante, elle se hissa à sa hauteur. Assise en tailleur face à lui, les yeux pleins de curiosité, elle ajouta simplement :
- Raconte-moi ton histoire, celle des tiens… Je veux tout savoir du combat que nous allons mener ensemble, si tu veux bien de mon aide.
En entendant ses paroles, un sentiment de bien-être envahit tout son être. Kunder à ce moment précis ne se sentait plus seul. Et pour la première fois depuis des années, il ouvrit son cœur à une autre femme que sa mère. Se sentant en confiance, il lui parla en toute franchise de lui, de ses racines, de son combat. Les rumeurs de la guerre pourtant de plus en plus proche semblaient à cet instant s’être éloignés d'eux. Comme seuls au monde, Kunder et Zoéliana, malgré le danger qui les guettait, goûtaient pour la première fois sans en avoir encore vraiment conscience à la douceur d’un amour naissant...