Chapitre 5: Frères ennemis
Lancée au triple galop, la petite troupe avançait, dix cavaliers en tout qui chevauchaient depuis des heures. A leur tête, Welfin. Port altier, robuste, il avait été le meilleur ami de Kunder. Cela faisait maintenant dix ans qu’ils se connaissaient, dix ans d’une amitié fidèle et solide mais qui avait été brisé par lui… Il n’avait pas voulu se soumettre et s’était révolté. Ils n’avaient pu s’accorder sur la position à adopter. Alors que Welfin prêchait l’obéissance et la soumission, Kunder lançait son cri de révolte. Welfin ne voulait pas d’effusion de sang, pas de mort, pas de massacre. Une passation de pouvoir en douceur, voilà ce qu’il souhaitait, puisqu’il n’y avait aucune autre issue. Kunder ne pouvait s’y résoudre. A ses yeux, accepter la réalité aurait été se soumettre encore et renier leur histoire.
Non, son peuple ne vivrait plus sous le joug d’un tyran. Plus de soumission, plus d’esclavage, plus de despote ! Il faisait partie d’un peuple libre et qui le resterait quel que soit le prix à payer! tels étaient les paroles de Kunder. Elles raisonnaient encore dans les oreilles de Welfin, claires et fortes. C’étaient les dernières qu’ils avaient échangées. A travers ces mots, leur destin venait d’être scellé. Ils allaient combattre pour le bien de leur peuple mais non plus côte à côte dorénavant mais bel et bien face à face. Anciens frères de sang désormais adversaires, ils avaient choisi leur camp et étaient prêts à livrer bataille.
Ayant mené les négociations pour qu’il n’y ait aucune effusion de sang, Welfin avait été désigné comme le prote-parole de son peuple. Il avait su acquérir la confiance des siens mais surtout celle du tyran. Non pas que son âme soit aussi noire que la sienne mais parce qu’il ferait tout pour sauver son peuple, lui épargner la moindre souffrance, quitte à devoir trahir son ami de toujours… Il s’était porté volontaire pour le capturer à la seule condition qu’on le ramène vivant et qu’il ne lui soit fait aucun mal. Le tyran savait que si Welfin le décidait, son peuple le suivrait, et que s’il se liguait contre lui aux côtés de Kunder, ils pourraient lui donner du fil à retordre. Déjà que ce Kunder avec ses idées de rébellion commençait à lui poser quelques problèmes, il ne voulait pas se mettre à dos son précieux allié. Il avait accepté les conditions de Welfin. A ses yeux, emprisonner ce parasite serait la meilleure preuve que toute tentative de soulèvement serait vaine et que pas même ce « Libérateur », comme l’avait baptisé la rumeur, qui avait osé se lever contre lui et qui était devenu aux yeux de certains le symbole vivant de la Résistance ne pouvait le vaincre. L’enfermer et l’exposer ainsi à la vue de tous ruineraient tout désir de révolte alors que le tuer, même si l’envie le ronger, serait faire de lui un martyr que d’autres suivraient… et il ne le faudrait pas car cela l’exaspèrerait au plus au point. Le casser, le détruire, briser sa combativité et toute tentative d’insurrection, voilà ce qui lui plaisait. Dans chaque espèce qu’il avait soumis et exterminé -pour lui il n’était rien d’autre que des races inférieures-, s’étaient trouvés quelques fous pour le défier et des êtres d’exception qu’il considérait, des adversaires parfois même redoutables qui rendaient la conquête plus intéressante. Il s’était amusé et avait pris un malin plaisir à pourchasser et à traquer ses combattants intrépides comme des bêtes avant d’anéantir avec eux l’espoir de tout un peuple ; et Kunder ferait partie de ceux-là.
Même si à travers l’histoire, il est vrai que des êtres que tout le monde croyaient banals se sont révélés dans l’adversité et ont porté sur leurs épaules la foi de tout un peuple jusqu’à remporter la victoire finale, peu avait réussi et Kunder qui ne le savait pas lui-même ferait partie de ces héros.