La fée serpentine
Il était une fois une vallée féerique. Discrètes, les fées l’habitaient, rendaient mille menus services aux gens des villages, qui les respectaient et les aimaient. Ainsi tout le monde vivait en bonne intelligence.
Or, il advint qu’un beau matin de printemps, un jeune bûcheron rencontra une fée qui lui sourit. Vêtue d’une robe vaporeuse d’un vert bleuté, cheveux dénoués, elle chantonnait en trempant ses pieds dans l’eau d’un ruisseau
Le jeune homme, la hache que l’épaule, s’arrêta net, bouche bée devant cette apparition à la voix mélodieuse. Dès la première minute, il se trouva subjugué. A la deuxième, il se sentait déjà fou amoureux d’elle. Et à la troisième minute, il lui demanda de l’épouser !
- oh, ce n’est pas si simple ! Objecta la fée avec un soupir. Les hommes font rarement de bons époux pour les fées.
- Je serai le meilleur qui puisse être, promit le bûcheron.
- Ils ne savent pas tenir leurs promesses, fit la belle à mi-voix. Ils ‘effraient pour un rien. Ils ne savent avoir confiance. Ah ! il est bien difficile pour une vie de lier sa vie à celle d’un homme. Et pourtant …
- Et pourtant ? répéta le bûcheron, suspendu à ses lèvres.
- Le mariage avec un humain est pour nous le seul moyen d’acquérir cette âme qui nous fait tant défaut.
- Epouse-moi et tu obtiendras l’âme après laquelle tu languis, assura le jeune bûcheron avec fougue.
Le lendemain, ils bavardèrent ensemble un long moment. Jour après jour, ils firent davantage connaissance, et le jeune bûcheron passionné renouvelait sa proposition de mariage. La fée finit par accepter.
- Attention cependant, dit-elle. C’est qu’il y a des conditions… Tu dois me jurer que, quoi qu’il arrive, jamais tu ne seras brutal ou hargneux, et que surtout, jamais, au grand jamais, tune me traiteras de mauvaise fée.
- Mais bien sûr, assura le bûcheron. Pourquoi dirai-je une telle horreur ?
- -Hmmm…, dit la fée d’un ton pensif. Enfin, nous verrons…
Le bûcheron et la fée se marièrent à l’église. Puis ils s’en furent habiter une mignonne petite maison au milieu des champs que le bûcheron cultivait quand il ne coupait pas du bois. La fée laissa ses robes vaporeuses et revêtit le solide costume des paysannes, elle tint le ménage à la perfection, chantant à tout propos de sa voix cristalline, et bientôt des enfants vinrent égayer le foyer. Rien ne semblait pouvoir ternir le bonheur de cette petite famille.
Or, un jour, un orage de grêle s’annonça à l’horizon, menaçant les récoltes, tandis que le mari était parti en foret. L’épouse-fée prit hardiment la décision de moissonner alors que le blé était encore un peu vert. La récolte se fit, de façon quelque peu magique, en un rien de temps, et lorsque l’orage éclata, tout le grain était soigneusement entreposé dans les granges, bien au sec et à l’abri.
Quand le mari rentra chez lui, inquiet pour sa récolte, il vit ses champs moissonnés. Mais il jugea que c’était beaucoup trop tôt. Au lieu de remercier une épouse prévoyante d’avoir si bien œuvré, il s’exclama :
- Mais qu’ai-je donc fait au ciel pour m’être uni à une si mauvaise fée ? !
A peine ces mots prononcés, sa femme-fée disparut, laissant la soupière sur la table et les enfants tout autour. On entendit derrière elle le bruit furtif que fait un serpent se coulant entre des pierres.
- Mon dieu, qu’ai-je dit là ? s’écria l’homme en pressant ses poings sur ses lèvres.
Il venait de se rendre compte… Il supplia à grands cris sa femme de revenir parmi eux, regrettant ses paroles qui avaient fait disparaître une si bonne épouse, diligente, sensée et... magique.
- Reviens, je regrette, je retire mes paroles, s’exclama-t-il .
Mais la fée ne reviens pas
Me lendemain, en rentrant, le bûcheron trouva la maison bien rangée, le souper sur la table, les enfants soignés, propres et bien coiffés, qui l’attendaient pour dîner.
- Comment se fait ce miracle ? demanda- t-il, plein d’espoir insensé.
- Notre maman est revenue préparer le repas et s’occuper de nous… « Ah !... » se dit-il avec soulagement.
- … puis elle est repartie avant ton arrivée.
Il se mordit les lèvres de déception.
Ainsi chaque jour, la fée revenait s’occuper de sa maison et de ses enfants, mais disparaissait à l’instant où son mari allait rentrer. Il crut devenir fou
Finalement, il demanda aux enfants s’ils connaissaient le moyen de la faire revenir, car il regrettait amèrement ce qui s’était passé.
- Je vais le lui demander, dit la fille aînée.
Quand le soir arriva, c’est avec la plus grande impatience que le bûcheron interrogea sa fille :
- Eh bien, mon enfant, ta mère a –t-elle parlé ? Pourrons nous former, comme avant une belle famille heureuse et unie ?
- Oui, papa, dit l’aînée. Voilà ce que tu dois faire : va à la porte de la cuisine et embrase ce qui se présentera. Ainsi, notre mère reviendra parmi nous.
- Très bien, dit le père, ému et heureux à l’idée d'étreindre de nouveau sa chère épouse, qui lui pardonnerait enfin ses paroles trop vives et abruptes.
Au moment où il ouvrait la porte de la cuisine, il entendit comme un sifflement. Sur la rambarde, une vipère le fixait de ses yeux durs et minéraux, dardant la langue et montrant ses crochets. Le reptile avança vers lui sa tête triangulaire comme s’il quêtait un baiser.
Le bûcheron rejeta la tête en arrière dans un mouvement de recul et de dégoût.
Quoi ! Fallait-il vraiment qu’il embrasse çà ? Ce n’était pas possible !
Puis il se rappela les instructions de la fillette. Alors, résigné, il se pencha en avant, les yeux fermés, prêt à se faire mordre par la vipère, mais tout ce qu’il perçut, ce fut un sifflement. Ses lèvres n’atteignirent pas le serpent, ni rien d’autre d’ailleurs. Sa femme était là, devant lui, revêtue de ses habits vaporeux éclairés par le clair de lune.
- Non seulement tu n’as pas tenu ta promesse de ne jamais me traiter de mauvaise fée, dit-elle tristement, mais de plus, tu n’as pas eu confiance en mi quand je t’ai fait savoir le moyen de me faire revenir. Hélas, je n’aurai jamais d’âme ! Et tu m’as perdue, tu m’as perdue pour toujours…
Et dans un bruit de serpent qui glisse sur le sol, et disparaît entre les feuilles, son épouse bien-aimée s’éloigna à jamais.